5 Octobre 2022

Gravitation : L’un des principes fondamentaux de la physique moderne confirmé avec une sensibilité sans précédent

Imaginez que vous lâchez deux objets très différents (un marteau et une plume par exemple) dans un lieu sans air, comme la Lune (pour ne pas que les frottements perturbent l’expérience). Vous observerez, à l’instar de l’astronaute David Scott lors de la mission Apollo 15 en 1971, que malgré leur masse et leur composition différente, ces deux objets tombent exactement à la même vitesse, illustrant le célèbre principe d’équivalence, pilier de la compréhension que l’on a aujourd’hui de la gravitation. Mais jusqu’à quel point ces deux vitesses sont-elles égales ? D’infimes variations sont-elles possibles ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre la mission spatiale MICROSCOPE (MICROSatellite à traînée Compensée pour l'Observation du Principe d'Equivalence), dont le maître d’ouvrage est le CNES.

Le satellite MICROSCOPE en orbite autour de la Terre. Crédits : CNES

Pourquoi une telle recherche ?

Dans la compréhension que la physique a aujourd’hui du monde dans lequel nous vivons, seuls 5% du contenu total de l’Univers est composé de matière « classique » (c’est-à-dire faites d’atomes). 95% de ce contenu est encore largement inconnu et n’est détectable que par des influences gravitationnelles, que l’on peut mesurer indirectement sur la dynamique des galaxies et l’expansion de l’Univers.
Il est donc essentiel de comprendre comment la gravité fonctionne à petite et à grande échelle.

Actuellement, la théorie la plus adaptée pour comprendre cette gravité est la relativité générale, développée au début du XXème siècle par Albert Einstein, et constamment raffinée et vérifiée depuis. Yves André, chef de développement du projet MICROSCOPE au moment de son lancement, nous explique que « Les tests expérimentaux réalisés depuis plusieurs décennies essayent de trouver les limites de cette théorie, pour observer des situations où elle ne fonctionne plus. Ça laisserait de la place à de nouvelles théories qui tentent d’unifier les lois de l’infiniment grand et l’infiniment petit dans une description complète de l’Univers. Mais malheureusement, la relativité générale résiste extrêmement bien à tous ces tests. Elle semble expérimentalement indéboulonnable alors que nous savons bien qu’au niveau cosmologique, elle n’apporte, comme toute théorie, qu’une description limitée des choses. »

Répartition de la densité d’énergie de l’Univers.
Crédit : Szczureq, Simon Villeneuve

Ce projet MICROSCOPE s’inscrit dans cette recherche des limites de la relativité générale pour « donner de la place à de nouvelles théories ». La question est donc : ce fameux principe d’équivalence sur lequel repose la relativité générale finit-il, comme certaines nouvelles théories d’unification le prédisent, par être faux ? De nouveaux effets exotiques induisent-ils de subtiles différences entre les calculs et les expériences ? Pour le vérifier, il fallait concevoir et mettre en place l’expérience la plus précise et sensible jamais imaginée …

Comment améliorer cette précision de plusieurs ordres de grandeur ?

L’objectif est donc de comparer la chute de deux corps différents et de mesurer avec une précision suffisante si leur comportement varie, même d’un tout petit peu.
D’autres expériences indirectes sur Terre [1][2] avaient montré, à la fin du siècle dernier, que s’il y avait une différence, elle serait plus petite qu’une partie pour mille milliards (1012).
Toute variation plus importante aurait été détectée à l’époque.

Or, si l’on veut faire chuter des corps, plus la sensibilité désirée est importante, plus le temps de chute doit être long, pour détecter des différences infimes. Il existe une situation physique dans laquelle un objet peut être en chute libre aussi longtemps qu’on le souhaite : une orbite spatiale.

En effet, d’un point de vue physique, une orbite est une chute libre perpétuelle autour d’un corps (ici la Terre). En lançant un satellite assez vite, on fait en sorte que la courbure de sa trajectoire épouse la courbure de notre planète, ce qui le fait tomber vers l’avant en « ratant » perpétuellement la Terre.

Un satellite en orbite est donc une situation idéale pour étudier le principe d’équivalence, en y plaçant deux masses différentes et en accumulant des milliers d’heures de chute libre pour détecter si l’une finit par chuter un tout petit peu plus vite que l’autre. Et c’est exactement ce que Microscope a fait pendant plus de 2 ans.

2 des 4 masses d’épreuve de Microscope : en platine (gauche) et en titane doré (droite). Crédits : ONERA

Quels résultats ?

Avec ses 13 193 orbites autour de la Terre entre 2016 et 2018, équipé d’un dispositif innovant permettant de compenser le très faible frottement de l’atmosphère terrestre résiduelle à 711 km d’altitude, MICROSCOPE a ainsi accumulé des millions de kilomètres de chute libre parfaite, comparant la dynamique d’une masse de platine et d’une autre, voisine, de titane maintenues toutes deux en lévitation avec une précision de l’ordre de la taille d’un atome.

À cours de carburant, le satellite a été éteint (« passivé ») en 2018, puis un dispositif de freinage aérodynamique a été déployé pour que, d’ici 25 ans, il finisse par retomber et se vaporiser dans l’atmosphère terrestre.

Déploiement du système IDEAS (Innovative DEorbiting Aerobrake System) permettant de perdre progressivement de l’altitude par frottement atmosphérique.
Crédits – gauche : CNES, droite : Fraunhofer FHR

Mais les analyses ont continué pendant des années jusqu’à la publication, le 14 septembre et le 4 octobre 2022, des résultats finaux de l’expérience. Et la relativité générale l’emporte une nouvelle fois, puisqu’elle a pu, grâce à ce projet, être vérifié avec une précision de l’ordre d’ une partie pour cent mille milliards (1015). C'est cent fois plus précis que ce qui a pu être mesuré sur Terre.

Gageons que de futures expériences, encore plus précises (MICROSCOPE 2, STE-QUEST) arriveront à trouver la faille dans la cuirasse de ce qui reste l’un des plus beaux édifices théoriques de l’histoire de l’humanité.

Références

Pour aller plus loin