4 Décembre 2017

Premiers résultats de la gravité au Microscope

La relativité générale d’Albert Einstein résiste encore et toujours aux tests les plus poussés. Les premiers résultats du satellite Microscope confirment avec une précision inégalée l’équivalence entre la gravité et l’accélération, ce qui repousse encore la marge pour remettre la théorie en cause. Nous en discutons avec Isabelle Petitbon, responsable du programme physique fondamentale au CNES, et Pierre-Yves Guidotti, chef de projet exploitation de Microscope.

Le but de Microscope est de tester le principe selon lequel des objets en chute libre tombent tous à la même vitesse quelle que soit leur masse. Un principe déjà formulé par Galilée au 17e siècle et confirmé à de maintes reprises dès lors que la chute a lieu dans le vide, et n’est pas perturbée par les frottements de l’air par exemple. Cela a lieu parce que la gravité est la seule force à s’appliquer sur un objet en chute libre. Mais la gravité résiste encore à une partie de la physique lorsqu’il s’agit de prédire son comportement aux petites échelles de la matière : certaines théories alternatives qui tentent d’unifier la gravitation et la physique quantique prédisent que l’équivalence entre gravitation et accélération pourrait être violé à un très faible niveau.

« La mesure du principe d’équivalence n’a pas évolué depuis 10 ans, rappelle Isabelle Petitbon. Les physiciens théoriciens élaborent des propositions qui ont besoin de résultats expérimentaux pour avancer. Donc Microscope va apporter des informations nouvelles qui pourront être utilisées dans cette perspective. »

Alors pourquoi reproduire l’expérience de la chute libre dans l’espace ? D’abord parce qu’en orbite autour de la Terre, le satellite Microscope maintient l’expérience en chute libre permanente. « Il mesure les positions des deux masses d’épreuves placées dans un cocon protecteur au coeur du satellite, commente Pierre-Yves Guidotti. En un an de mission, Microscope a mesuré leur trajectoire de chute avec une extrême précision sur 1900 orbites de données scientifiques, soit une distance équivalente à la moitié de la distance Terre-Soleil. »

Le satellite Microscope en orbite à 710 km au-dessus de la Terre depuis avril 2016 (vue d'artiste)

Si le principe d’équivalence est violé, deux masses de composition atomique différente qui tombent auront tendance à se décaler. Le niveau de précision visé pour la mesure de cette accélération est de 10-15 fois la gravité terrestre : avec une accélération si faible, il faudrait une durée de 5 millions d’années pour atteindre la vitesse de marche d’un piéton.

Pour parvenir à cette performance, le satellite est équipé d’un système à compensation de trainée, qui émet de très faibles poussées pour corriger les quelques forces qui interagiraient encore avec la chute libre (les molécules résiduelles de l’atmosphère à 710 km d’altitude, ou les photons émis par le Soleil).

Ces innovations technologiques ont permis à Microscope d’obtenir avec seulement 10% des données analysées, une précision de 2*10-14 fois la gravité terrestre, soit 10 fois supérieure à ce qui a déjà pu être employé pour mettre le principe d’équivalence à l’épreuve. Depuis le sol, les tests déjà réalisés comprennent 2 méthodes très différentes. D’abord celle du pendule droit puis du pendule de torsion qui permet d’obtenir une précision de 10-12 g. Puis depuis les années 70, les cinq panneaux réflecteurs déposés sur la Lune par les astronautes des missions Apollo et les missions robotisées russes Lunokhod 1 et 2 permettent de tirer dessus au laser pour mesurer en permanence la distance et donc la chute libre de notre satellite naturel autour de la Terre avec une précision de 10-13 g.

Les premiers résultats de Microscope permettent de déduire l’absence de violation statistiquement significative par rapport aux erreurs résiduelles du dispositif expérimental : à 2*10-14 g, aucune brèche n’a été détectée dans la théorie de la relativité générale. Ces résultats s’appuient sur 120 orbites des 1900 réalisées et la collecte de données se poursuivra jusqu’en mars 2018. De quoi encore augmenter la performance de la mission et se rapprocher de 10-15 g de précision pour les résultats finaux de la mission.

Mais qu’en sera-t-il si en fin de mission, les résultats continuent d’être ceux attendus par la théorie de la relativité générale ?
« Si Microscope ne détecte pas de violation, répond Isabelle Petitbon, ce résultat amènera des contraintes supplémentaires sur certaines théories alternatives qui prévoient une violation, et donc fera avancer la science. Au-delà, il est probable que des idées d’expérience pour aller encore plus loin dans la précision seront étudiées. »

Contacts

  • Responsable du programme Physique fondamentale : Isabelle Petitbon (isabelle.petitbon at cnes.fr)
  • Chef de projet exploitation : Pierre-Yves Guidotti (pierre-yves.guidotti at cnes.fr)

Pour aller plus loin

2 des 4 masses d’épreuve de Microscope : en platine (gauche) et en titane doré (droite). Crédits : ONERA